Le Quotidien, 30 octobre 2009
par Delphine Dard, journaliste
L’histoire d’internet ne s’est pas faite différemment au Luxembourg qu’aux États-Unis : sans des expérimentations technologiques et les bidouillages de quelques passionnés dans les caves, rien n’aurait avancé aussi vite.
Dans l’épopée, Marco Barnig, aujourd’hui adjoint au directeur des télécommunications des P&T, est un témoin privilégié. Geek (passionné de technologies) avant l’heure, il a suivi pas à pas les évolutions d’internet au Grand-Duché. Formé à l’école polytechnique de Zurich, il a l’occasion dès les années 1970 de toucher à Arpanet, l’ancêtre d’internet développé par et pour les scientifiques. Il revient dans les années 80 au Luxembourg où est lancé Videotex, le minitel luxembourgeois qui fait figure de premier service en réseau. À la fin des années 1980, il intègre Restena, une communauté de professeurs et chercheurs qui travaillent sur un réseau pour mettre de l’enseignement en ligne et dont les acteurs, pour certains aujourd’hui «web entrepreneurs», ont contribué à l’arrivée de la toile au Luxembourg. Sans l’émergence de firmes incomprises à cette époque comme SES, les choses auraient aussi pris plus de temps.
«À l’époque, les managers des grandes entreprises ne croyaient pas encore au développement d’internet. Nous, les passionnés, nous faisions nos expérimentations un peu dans les caves», se souvient-il. Si cette époque avait pour lui beaucoup de charme, il n’est pas nostalgique et s’émerveille de la progression fulgurante d’internet.
Au Luxembourg, tout s’accélère en 1995 avec le premier accès public à internet sur un kiosque P&T où la minute est facturée 12 francs luxembourgeois. C’est aussi l’année où le gouvernement et les P&T dévoilent une grande stratégie nationale pour l’accessibilité au web. Et en 1997, les P&T lancent leur cube, leur kit d’accès grand public à internet. Avec du recul, Marco Barnig estime que le Luxembourg fut un pionnier parmi les pays à avoir en premier apprivoisé internet, mais à l’époque, dit-il, «cela semblait tellement expérimental que ce n’est qu’aujourd’hui que je me rends compte qu’on a touché à des choses qui étaient très innovantes».
Dans le monde et au Grand-Duché, internet fait des pas de géant à partir des années 2000 avec l’émergence du web banking avec CCP connect, l’apparition des premières communautés en ligne comme Luxusbuerg puis l’internet haut débit, l’internet mobile et la wi-fi avec Hotcity. L’épidémie électronique est fulgurante : en 2004 LuxDSL avait 33000 clients et en compte aujourd’hui 118 000.
Le pays le mieux connecté au monde
Désormais, le Luxembourg est le premier pays au monde en termes de pénétration large bande. Il cumule aussi sur son territoire, la plus grande concentration mondiale d’iPhones. Mais haute connectivité ne rime pas au Grand-Duché avec rapidité et bon marché.
Une réalité qu’explique Marco Barnig : «Concernant internet, il y avait deux stratégies : celle de la France qui a décidé de ne pas couvrir tout son territoire dans un premier temps et s’est concentré sur des grands bassins de population rentables pour développer plus vite et à meilleur prix le haut débit. Et puis il y a eu la stratégie du Luxembourg où la volonté politique a consisté à offrir internet au plus grand nombre, quitte à aller tirer des connexions dans des contrées éloignées au prix fort, la performance des réseaux venant après.»
L’actualité internet du Luxembourg, c’est la fibre optique qui permettra de connecter tout le monde plus vite, mais tempère Marco Barnig, «cette technologie sera utile avec l’émergence du web 3.0 et son imagerie 3D, ses commandes vocales qui prendront plus de places sur des réseaux pour l’instant suffisants». Pionnier du web, Marco Barnig est encore un homme qui regarde vers le futur et pour lui l’intelligence artificielle découlant du web n’est en rien de la science fiction ou alors pas plus que ce que la télé des P&T basée sur un protocole IP ne pouvait l’être il y a cinq ans.